Avec le temps des fêtes vient celui des projets de vacances. Certains se retrouvent en famille, d'autres préfèrent profiter des tropiques ou bien des pistes de ski. Il y a aussi ceux de plus en plus nombreux, qui choisissent de combiner vacances et soins de santé. C'est ce que l'on appelle le tourisme médical. Controversé et déconseillé par les autorités sanitaires, il peut aussi changer des vies.
De l'espoir, c'est ce que la Britanno-Colombienne Barb Bridger et la Saskatchewanaise Katrina Baier sont allées chercher au Costa Rica en 2010. Atteintes toutes les deux de sclérose en plaques, elles ont choisi de recevoir un traitement interdit au Canada : la thérapie de libération développée par le Dr Paolo Zamboni.
« Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Ce voyage a été l'expérience la plus extraordinaire de ma vie », raconte Katrina Baier, 41 ans, résidente de Saskatoon. Sa maladie a été diagnostiquée en 2003 et son état s'est fortement dégradé après sa grossesse, quelques années plus tard. « Le déclin est allé très vite, dit Mme Baier. Tout ce que les médecins me disaient, c'était de prendre plus de médicaments. Aucun ne croyait à une thérapie de libération. » Aujourd'hui, la quadragénaire ne prend plus aucun traitement contre la sclérose en plaques.
Des résultats probants également du côté de Barb Bridger, 61 ans. « En partant au Costa Rica, l'idée était de stopper la progression de ma maladie. J'ai l'impression que c'est plutôt réussi. Je me sens très bien, je ne suis pas fatiguée, je peux faire du vélo. Il y a juste ma jambe gauche qui est un peu plus faible qu'auparavant », assure-t-elle.
13 000 dollars pour 2 semaines
La thérapie de libération consiste à dégager certaines artères par une angioplastie, en les dilatant avec un cathéter ballon. Examens préopératoires, intervention chirurgicale, puis rééducation avec une équipe de physiothérapeutes, leur séjour a duré deux semaines, pour un coût d'environ 13 000 $, billets d'avion non compris.
Selon l'agence américaine des produits alimentaires et pharmaceutiques (FDA), lathérapie de libération peut conduire à des complications graves et même à la mort dans au moins un cas avéré. L'agence gouvernementale rappelle qu'à ce jour, rien ne permet de faire un lien entre sclérose en plaques et perturbation de la circulation sanguine. Par consensus, la communauté médicale la considère plutôt comme une maladie neurologique auto-immune. Des affirmations corroborées dans une étude de l'université de la Colombie-Britannique datant de 2013.
Il y a plusieurs types de touristes médicaux. Ceux qui, comme Barb Bridger et Katrina Baier, vont chercher des procédures chirurgicales ou des traitements interdits au Canada. Il y a aussi ceux pour qui l'avantage pécuniaire les conduit à sortir du pays. C'est notamment le cas fréquemment pour les soins dentaires, qui ne sont pas toujours bien couverts au pays. Et enfin, il y a ceux qui ne veulent ou ne peuvent plus patienter des mois, voire des années, sur liste d'attente.
« Les Canadiens sont en général fiers de leur système de santé. Le problème, ici, ce sont plutôt les délais. Aux États-Unis, en revanche, le tourisme médical est souvent motivé par l'aspect financier », souligne Glenn Cohen, professeur à l'Université Harvard, spécialisé dans le droit de la santé et l'éthique médicale.
Mauvaise réputation du tourisme médical
Le tourisme médical pose, selon lui, plusieurs problèmes allant de la qualité aléatoire des soins dispensés à l'étranger, à la difficulté de transmettre le dossier médical d'un pays à l'autre, ou encore à l'impossibilité de poursuivre en justice le chirurgien étranger dans le cas d'une erreur médicale. Certains patients contractent aussi des infections dues à des bactéries multirésistantes aux médicaments présentes dans de nombreux établissements à travers le monde. Glenn Cohen soulève également de nombreuses questions en matière d'éthique dans les pays en développement et d'inquiétudes quant au trafic d'organes.
Complications graves, arnaques et même vol d'organe, le tourisme médical souffre d'une mauvaise image, selon Guillaume Debaene, chargé des opérations chez MediTravel International, une agence installée en Colombie-Britannique, spécialisée dans le tourisme médical. « Les complications sont très peu nombreuses. Elles représentent un coût minime pour le système de santé canadien et, en tout cas, bien inférieur que le budget alloué par le gouvernement fédéral il y a quelques années pour réduire les temps d'attente, ce qui s'est révélé être un échec », affirme-t-il.
En Colombie-Britannique, l'un des cancres en la matière au pays, il faut attendre en moyenne huit mois pour passer un examen d'imagerie par résonance magnétique (IRM), deux ans pour une reconstruction mammaire, et même des années pour une prothèse de la hanche.
Contacté par Radio-Canada, le ministère provincial de la Santé rétorque qu'il a injecté 10 millions de dollars pour augmenter la capacité opératoire en Colombie-Britannique. « Au total, il y a eu 541 886 opérations réalisées dans la province en 2013-2014 soit une augmentation de 33 % par rapport à 2001-2002 », écrit le ministère, qui s'est également engagé à faire grimper de 45 % le nombre de rendez-vous d'IRM dans tous les établissements sur les quatre prochaines années.
Un secteur en plein développement
Mais dans la réalité du quotidien, celle des gens malades, le temps presse. Et le tourisme médical semble de plus en plus attirant pour les patients, mais aussi pour les pays hôtes, qui découvrent une nouvelle manne financière. Selon Glenn Cohen, il s'agit d'un secteur grandissant, même florissant dans certains pays comme la Thaïlande, l'Inde et le Mexique. De plus en plus de pays veulent, selon lui, avoir leur part du gâteau. C'est le cas au Costa Rica, mais aussi à Singapour et en Malaisie.
« Le tourisme médical a vraiment évolué. Auparavant, c'était vraiment réservé à une certaine classe, c'était surtout pour des chirurgies esthétiques. Aujourd'hui, c'est très varié : chirurgies de remplacement de la hanche, du genou, chirurgies neurologiques ou dentaires... Ça devient de plus en plus populaire et touche des classes tout à fait différentes », explique Guillaume Debaene. Il affirme que son agence, MediTravel International, dirige les patients en fonction de leurs besoins, uniquement dans des hôpitaux accrédités et connus de leurs services.
Selon un récent rapport de l'Institut Fraser Health, 52 000 Canadiens ont voyagé à l'étranger pour recevoir des soins de santé, soit un bond de 26 % en un an. Ils seraient jusqu'à 100 000 selon les estimations de Destination Santé, un organisme qui organise des salons de tourisme médical, dont le premier a eu lieu à Montréal en août dernier.
Un sujet tabou avec les médecins
Pour Glenn Cohen, de Harvard, il est essentiel de faire appel à des agences spécialisées ayant pignon sur rue, des « facilitateurs », pour accompagner les patients au mieux et les diriger vers des établissements sûrs. La difficulté est de choisir le bon facilitateur. « Il faut que les patients s'informent le plus possible par eux-mêmes, sur le facilitateur, mais aussi sur la procédure qu'ils s'apprêtent à recevoir, l'hôpital à destination, le chirurgien. Ils devraient aussi essayer d'être assistés par un médecin canadien. Ça fait beaucoup de démarches et d'obstacles, surtout pour certains patients malades et désespérés », commente-t-il.
Donner plus de pouvoir et de responsabilité aux médecins canadiens, c'est aussi ce que préconise le ministère de la Santé britanno-colombien. « Nous comptons sur les praticiens pour discuter des options et des risques du tourisme médical avec leurs patients pour nous assurer que ces derniers prennent la décision en connaissance de cause », précise le ministère dans son courriel.
Mais le dialogue est loin d'être aisé, affirme Barb Bridger, qui explique que le sujet est tabou, notamment avec les spécialistes. « J'ai parlé de mon voyage médical à mon médecin de famille, il n'y a pas eu de problème. Puis j'ai écrit une lettre à ma neurologue pour l'informer. Elle ne m'a jamais répondu et, lorsque je viens faire mes examens de contrôle tous les deux ans, nous n'abordons jamais le sujet. Je ne me sens pas à l'aise », confie-t-elle.
Katrina Baier, de son côté, se rassure en maintenant des liens étroits avec l'équipe médicale costaricaine. « Lorsque j'écris un courriel à mon chirurgien, il me répond dans l'heure qui suit. Son assistante est même devenue mon amie sur Facebook », raconte-t-elle.
Tourisme médical à double sens
Si pour Barb Bridger et Katrina Baier l'histoire a pris un tournant positif, Glenn Cohen estime tout de même que les gouvernements des pays d'origine et de destination devraient mieux réguler le secteur du tourisme médical. « Commençons par connaître le nombre exact de patients qui sont concernés, car les chiffres varient du simple au double d'un sondage à l'autre, et par éduquer les patients aux risques. Il faudrait également considérer de criminaliser l'activité d'achat d'organes. C'est interdit au Canada, mais n'importe quel Canadien peut, par exemple, aller s'en procurer à l'étranger », note-t-il.
Et pour avancer équitablement dans ce dossier, les décideurs canadiens devront aussi considérer le tourisme médical dans le sens inverse, c'est-à-dire les étrangers qui viennent se faire soigner au Canada. « Il faut s'assurer que le tourisme médical entrant ne prend pas des ressources et du temps aux Canadiens qui sont sur liste d'attente. Ce genre de problème a, par exemple, été constaté au Royaume-Uni et en Israël », conclut Glenn Cohen.
Source: www.radio-canada.ca
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